✠Quelle est la place des femmes dans le football ?
đ€ Comment les stĂ©rĂ©otypes fĂ©minins influent-ils sur les opportunitĂ©s offertes aux femmes dans ce sport ?
đŁïž Les intervenants :
– Arnaud DALLA PRIA : PrĂ©sident de la Ligue de Football dâOccitanie.
– Nicole ABAR : Ancienne footballeuse professionnelle.
– Jennifer DARBAS : Directrice GĂ©nĂ©rale Adjointe du TFC.
– Brigitte THIĂBAUT : DĂ©lĂ©guĂ©e LFP, ancienne arbitre.
đ Le problĂšme de la stĂ©rĂ©otypisation dans le football :
Tout au long de la conférence, un problÚme de stéréotypisation dans le football est souligné. Bien que le football professionnel féminin gagne en popularité (la derniÚre coupe du monde féminine fut le quatriÚme événement sportif le plus regardé de la planÚte), le football demeure un milieu trÚs masculin, tant du cÎté des joueurs, des arbitres que des dirigeants.
Brigitte ThiĂ©baut et Nicole Abar partagent leurs expĂ©riences en tant qu’anciennes joueuses de football. Issues de familles immigrĂ©es, elles se sont passionnĂ©es trĂšs jeunes pour le football, mais ont eu du mal Ă s’imposer dans un environnement essentiellement masculin. Brigitte raconte avoir Ă©tĂ© contrainte de porter une casquette pour dissimuler ses longs cheveux, tandis que Nicole jouait sous le nom de « Nicolas » au club des Pradettes Ă Toulouse. Bien qu’elles aient eu un bon niveau et trouvĂ© leur place dans les Ă©quipes oĂč elles jouaient, des remarques sur leur sexe remettaient toujours en question leur fĂ©minitĂ©. Brigitte ThiĂ©baut s’exprime Ă ce sujet : « Je suis une femme et je suis fiĂšre de lâĂȘtre. Jouer au football ne mâenlĂšve pas ma fĂ©minité ».
Nicole Abar nous explique, Ă travers son documentaire « à la conquĂȘte de lâespace », que ces problĂšmes d’inclusion ne sont pas propres au football, mais relĂšvent plutĂŽt d’un problĂšme social. Dans un extrait montrĂ© lors de la confĂ©rence, des enfants rĂ©pondent Ă une expĂ©rience sociale oĂč ils doivent associer des activitĂ©s au sexe masculin ou fĂ©minin. Cette expĂ©rience rĂ©vĂšle une Ă©ducation patriarcale, encourageant la normalisation des stĂ©rĂ©otypes fĂ©minins et masculins.
Bien que les filles semblent plus intĂ©grĂ©es au football de nos jours par rapport Ă l’Ă©poque de Nicole, il reste encore beaucoup Ă faire, car de nombreux enfants pensent toujours que « le foot nâest pas un sport de filles ».
Cependant, ce problĂšme concerne non seulement les joueuses de football. Brigitte ThiĂ©baut Ă©voque les obstacles et les comportements sexistes auxquels elle a Ă©tĂ© confrontĂ©e en tant qu’arbitre. Elle raconte que pendant longtemps, les arbitres femmes Ă©taient appelĂ©es « Monsieur lâarbitre ». Brigitte a luttĂ© pour faire disparaĂźtre ce commentaire sexiste et pour ĂȘtre appelĂ©e, ainsi que toutes les femmes arbitres de France, « Madame lâarbitre ». Lorsqu’elle est devenue dirigeante au sein de la Ligue Professionnelle de Football (LFP), ses compĂ©tences Ă©taient souvent nĂ©gligĂ©es en raison de son sexe.
Les problĂšmes rencontrĂ©s par les femmes occupant des postes importants dans un club de football incluent la nĂ©gligence de leur travail, le syndrome de lâimposteur et le sexisme (comme l’exemple de « Monsieur lâarbitre »).
Ce problĂšme semble ĂȘtre assez rĂ©pandu chez les femmes occupant des postes Ă©levĂ©s dans des milieux masculins. Jennifer Darbas tĂ©moigne Ă©galement avoir Ă©tĂ© victime du « syndrome de lâimposteur », un sujet frĂ©quemment abordĂ© lors de la confĂ©rence. Ce syndrome consiste Ă penser que le succĂšs d’une personne est dĂ» au hasard ou Ă la chance, et non Ă ses compĂ©tences professionnelles. Jennifer Ă©tait souvent remise en question dans son rĂŽle de directrice gĂ©nĂ©rale au sein d’une entreprise de transports. MalgrĂ© son travail assidu et remarquable, ses collĂšgues masculins justifiaient son succĂšs par ses attributs fĂ©minins, plutĂŽt que par son savoir-faire et ses compĂ©tences.
Aujourd’hui, Jennifer est directrice gĂ©nĂ©rale adjointe du TFC et se sent valorisĂ©e pour ses compĂ©tences, et non seulement en tant que femme.
Arnaud Dalla Pria insiste sur le fait qu’aujourd’hui, il ne faut pas forcer l’intĂ©gration des femmes dans de tels mĂ©tiers, mais choisir la personne la plus qualifiĂ©e pour le poste. Cependant, il reconnaĂźt que pour les femmes, il est encore plus difficile d’accĂ©der Ă ces postes stĂ©rĂ©otypĂ©s comme masculins.
Brigitte, Nicole et Jennifer encouragent les femmes Ă se battre et Ă ne jamais cĂ©der face aux doutes sexistes concernant leurs compĂ©tences. Elles doivent croire en elles-mĂȘmes, tout comme les hommes, et aspirer Ă occuper des postes importants dans un club de football, une institution ou une entreprise prestigieuse.

â Comment luttent elles pour promouvoir la prĂ©sence des filles dans le football, sur et en dehors du terrain ?
Arnaud Dalla Pria affirme que grĂące Ă de grands Ă©vĂ©nements comme la victoire lors de la Coupe du Monde 2018, l’organisation de la Coupe du Monde fĂ©minine en 2019 et le sacre du TFC en Coupe de France en 2023, le nombre de femmes demandant des postes de direction dans un club de football a considĂ©rablement augmentĂ© au cours des dix derniĂšres annĂ©es.
Cependant, l’Ă©cart avec les homologues masculins reste encore trop important. En France, on compte actuellement seulement 7 femmes dirigeantes Ă la LFP, sur 52 hommes, et seulement 2 femmes sont directrices adjointes dans un club professionnel (au FC Metz et au Toulouse FC).

đȘ Comment promouvoir l’intĂ©gration des femmes dans le football ?
De nombreuses associations ont Ă©tĂ© créées ces derniĂšres annĂ©es pour favoriser l’Ă©galitĂ© hommes-femmes dans le football, inciter les filles Ă pratiquer ce sport et lutter contre les prĂ©jugĂ©s liĂ©s Ă leur sexe et au ballon. Nicole Abar nous prĂ©sente deux associations : Egal Sport et LibĂ©ration Sport, qui visent Ă soutenir la place des femmes et la mixitĂ© dans le sport, et Ă dĂ©noncer toute forme de discrimination dans ce domaine. Elles cherchent Ă donner une visibilitĂ© accrue aux femmes et Ă inciter les mĂ©dias Ă les intĂ©grer davantage.
Ces associations fonctionnent grĂące Ă l’engagement de bĂ©nĂ©voles et cherchent Ă attirer plus de femmes.
Une autre association est « Les Munitionnettes », fondĂ©e par Zakia Rabi. Cette association vise Ă aider les femmes dĂ©favorisĂ©es Ă rĂ©ussir leurs entretiens d’embauche en leur fournissant des vĂȘtements appropriĂ©s. Son objectif principal est de renforcer la confiance en soi et de motiver les femmes qui souffrent du « syndrome de l’imposteur » Ă rĂ©ussir dans des milieux professionnels oĂč elles ont du mal Ă s’imposer face aux hommes. Cette association fonctionne grĂące aux dons de vĂȘtements.
Enfin, la Ligue de Football d’Occitanie encourage les femmes Ă occuper des postes importants dans des clubs de football amateurs, tels que dĂ©lĂ©guĂ©es, dirigeantes, entraĂźneuses et mĂȘme prĂ©sidentes de club.

đ€ Entretien avec Nicole Abar :
Qui ĂȘtes-vous ? Quel est votre engagement dans le football fĂ©minin ?
« J’ai jouĂ© 10 ans en Ă©quipe de France, j’ai remportĂ© huit fois le championnat de France et je suis Ă©galement entraĂźneuse de football. J’ai créé deux clubs fĂ©minins en rĂ©gion parisienne ainsi que deux associations pour promouvoir le sport fĂ©minin. Je suis Ă©galement cinĂ©aste et j’ai rĂ©cemment rĂ©alisĂ© le film « à la conquĂȘte de lâEspace ». Mon engagement ? Travailler pour l’Ă©galitĂ© entre les filles et les garçons dĂšs leur plus jeune Ăąge. Il est trĂšs important que les garçons participent Ă©galement, pour dĂ©velopper la motivation et la confiance en soi Ă travers la motricitĂ© et l’utilisation de leur corps, ce que les garçons maintiennent tout au long de leur vie mais que malheureusement les filles perdent, en partie Ă cause des stĂ©rĂ©otypes. Pour moi, c’est un gĂąchis de talent et je me bats pour que les filles et les garçons puissent exprimer tout au long de leur vie une confiance en soi grĂące Ă une habilitĂ© sportive, comme le football ».
Aujourd’hui, la Coupe du Monde de football fĂ©minin est le quatriĂšme Ă©vĂ©nement sportif le plus regardĂ© au monde. Vous qui avez Ă©tĂ© pionniĂšre du football fĂ©minin en France, comment voyez-vous cette Ă©volution et que reste-t-il Ă faire pour que le football devienne un sport moins masculin et plus Ă©galitaire ?
« Le progrĂšs est Ă©norme. J’ai 64 ans et aujourd’hui, vous ne trouverez aucune photo de moi ou de mes collĂšgues en train de jouer au foot. Vous ne verrez ni vidĂ©o et vous ne me connaissiez probablement pas auparavant. Auparavant, nous Ă©tions simplement tolĂ©rĂ©es. Aujourd’hui, vous pouvez voir une demi-finale de la Ligue des Nations, France-Espagne, Ă la tĂ©lĂ©vision, avec un stade plein. Donc, bien sĂ»r, le progrĂšs a Ă©tĂ© Ă©norme. Cependant, il reste encore beaucoup Ă faire, notamment en ce qui concerne les reprĂ©sentations et les stĂ©rĂ©otypes. Beaucoup de petites filles ne se donnent pas le droit de penser qu’elles pourraient jouer au foot, et il y a encore beaucoup de garçons qui pensent que le foot n’est pas un sport de filles. Je pense que c’est lĂ le grand dĂ©fi Ă relever. Il faut que les filles soient intĂ©grĂ©es dans le partage de la joie et du bonheur. L’incorporation doit ĂȘtre souhaitĂ©e et non imposĂ©e. Les garçons pratiquent le foot depuis longtemps et on ne va pas leur enlever ce bonheur de jouer, il faut donc que nous partagions les espaces et que nous accueillions les filles de maniĂšre positive ».
Pourquoi pensez-vous que le football est perçu comme un sport masculin, contrairement à des sports comme le tennis ou le volley-ball par exemple ?
« Le problĂšme rĂ©side dans les stĂ©rĂ©otypes, qui sont tellement intĂ©riorisĂ©s que personne n’y croit. Ces stĂ©rĂ©otypes doivent ĂȘtre effacĂ©s. Pour cela, il faut mettre les enfants dans des situations d’Ă©galitĂ© dĂšs leur plus jeune Ăąge. Quand je marquais des buts, les garçons ne me disaient rien. C’est pourquoi il est nĂ©cessaire que les filles pratiquent le football en mĂȘme temps que les garçons, pour ĂȘtre sur un pied d’Ă©galité ».
En un mot, le football, c’est quoi pour vous ?
« Passion. Sans le football, je n’aurais pas fait toutes ces rencontres, eu cette vie exceptionnelle ».
OĂč voyez-vous le football fĂ©minin dans 50 ans ? « Si nous faisons ce qu’il faut en termes d’Ă©galitĂ©, d’Ă©ducation et dĂšs le plus jeune Ăąge… Dans 50 ans, nous n’aurons plus besoin d’en parler. Nous aurons peut-ĂȘtre une femme Ă la tĂȘte de la FFF ou de la FIFA, et j’espĂšre qu’avant cela, la France sera championne du monde ».
đ Propos recueillis par M. Silvio DUCOIN, bĂ©nĂ©vole et membre de la commission communication au sein du District Haute-Garonne de Football